Bien Chers Frères et Sœurs,
La Congrégation se prépare à vivre un événement exceptionnel : la première canonisation de l’un de ses fils, le Père Damien De Veuster. Cet événement aura lieu le 11 octobre prochain à Rome.
De toutes parts surgissent des initiatives pour diffuser la mémoire de Damien et se disposer à célébrer sa reconnaissance comme saint. Il convient de se réjouir d’une joie qui plonge ses racines dans la Pâque, la victoire du Ressuscité sur le mal, la douleur et la mort. Damien en se livrant s’est plongé dans le Seigneur. Comme Lui, il a aimé jusqu’à l’extrême ; et maintenant il brille de la lumière des justes au banquet du Royaume.
Nous connaissons bien Damien. Comme le disait Marcellin Bousquet, le Supérieur Général d’alors, dans sa lettre adressée à la Congrégation pour la mort de Damien : « la renommée de ce vaillant missionnaire est devenue tellement universelle qu’il semble presque inutile de vous raconter sa vie ». Aussi nous ne vous écrivons pas cette lettre pour vous rappeler ce que vous savez déjà, même si cela nous fait du bien à tous de relire encore une biographie de Damien, ses lettres ou d’autres écrits sur lui. Sa vie doit être une source constante de méditation et d’inspiration pour nous.
Nous sommes conscients aussi que Damien n’est pas seulement « à nous ». Damien est un frère universel, modèle d’humanité, apôtre des lépreux, héros de la charité, inspiration pour tout être humain qui se sent appelé à servir les exclus et les oubliés, fierté des Belges et des Hawaïens, gloire de l’Eglise entière. Sa force et son influence vont bien au-delà des limites de notre Congrégation.
Cependant, Damien a été un digne fils des Sacrés Cœurs. Sa profession religieuse dans la Congrégation a marqué sa vie pour toujours, jusqu’à la mort. Cette lettre que nous vous adressons, en tant que Supérieurs Généraux, vient de cette joie profonde d’être ses frères et sœurs de la même famille religieuse ; nous sommes unis à lui d’un lien particulier. Notre message est une invitation simple et enthousiaste à nous préparer comme Congrégation à cet événement exceptionnel de la canonisation de celui qui fut et reste notre frère : Damien de Molokaï, prêtre, missionnaire et religieux SSCC.
Il n’y a rien de neuf à reconnaître la grandeur de Damien. Dès sa mort, il y a 120 ans, et même durant sa vie, une multitude d’hommes et de femmes ont vu en lui un monument d’amour, de service et de foi. Sa vie a inspiré une infinité d’engagements pour l’humanité souffrante et de nombreuses vocations à la vie consacrée. On n’est pas en train de découvrir Damien seulement maintenant, bien que l’on puisse toujours approfondir notre connaissance du personnage. Ce qui est nouveau, c’est le fait de sa canonisation, à travers laquelle « l’Eglise rend grâce à Dieu pour ses enfants qui ont su répondre généreusement à la grâce divine ; l’Eglise les honore et les invoque comme intercesseurs ; et en même temps, elle les présente à tous les fidèles comme d’excellents modèles à imiter ». (Benoît XVI aux Postulateurs de la Congrégation pour les causes des saints, le 17 décembre 2007).
1. L’Eglise rend grâce à Dieu.
Notre regard se dirige d’abord vers Dieu. La ‘Sainteté’ est l’expression des merveilles que le Seigneur accomplit au milieu de son peuple. Les Saints sont des signes éminents de l’action de l’Esprit du Ressuscité dans la réalité humaine, le prolongement du mystère de l’incarnation qui scelle l’alliance entre le divin et l’humain. La Gloire de Dieu se manifeste dans la profondeur et la dignité de l’humanité créée par Lui. La vie de l’homme s’accomplit pleinement dans l’amitié avec son Seigneur.
Damien nous révèle ce mystère avec un incomparable éclat. Comme dans le Serviteur souffrant d’Isaïe, grâce à Damien nous découvrons le visage de Dieu dans les personnes qui semblent avoir perdu tout visage humain. L’engagement de Damien auprès des lépreux, au point de devenir lépreux lui-même, proclame hautement la dignité infinie de chaque personne humaine et l’amour de Dieu pour ses créatures. C’est pour cela que nous louons le Seigneur dans les saints, qui sont le reflet de sa gloire. Nous louons le Seigneur pour Damien, son enfant, l’œuvre de ses mains, un don de Dieu à l’Eglise et au monde.
La canonisation n’est, donc, pas un acte d’exaltation d’un héros, ou l’attribution d’un titre honorifique à un groupe ou une institution, ou la simple illustration d’une série de valeurs ou d’une idéologie. La canonisation est avant tout un acte de louange au Dieu d’amour et de miséricorde, qui répand sur nous sa compassion, malgré nos misères, en transformant l’existence des saints par la force de son Esprit.
Damien n’est ni « à nous », ni à personne ; Damien appartient à Dieu. On ne peut le comprendre qu’à partir de son appartenance au Seigneur, qui l’a modelé et rendu semblable à Lui. La sainteté est l’œuvre du Seigneur. C’est son amour qui nous justifie. Dans cette perspective, la canonisation devient une confession de foi pleine d’espérance : l’amour de Dieu agit en nous, comme il a agit en Damien, et il peut continuer de nous transformer malgré nos fragilités et nos obscurités.
D’après le frère Joseph Dutton, son fidèle compagnon des dernières années, Damien pouvait avoir bien des défauts de caractère, mais toutes ces fautes étaient brûlées comme paille dans le feu de sa charité. Ce feu, c’est le feu de Dieu même, un amour fort comme la mort, un incendie que des torrents d’eau ne peuvent éteindre. C’est ce feu qui apparaît aussi dans les représentations du Cœur de Jésus : un cœur transpercé et souffrant, mais débordant de passion et de vie. Voilà comment était le cœur de Damien !
Par la canonisation, ceux qui rendent grâce à Dieu, ce ne sont pas seulement la Congrégation ou des personnes qui, ayant connu Damien, se sont senties inspirées par lui ; désormais, c’est l’Eglise entière, Corps du Christ, qui se tourne vers le Père et le remercie pour Damien. La canonisation signifie que le culte rendu au Bienheureux s’étend maintenant à toute l’Eglise. Damien s’inscrit ainsi dans le cœur de l’Eglise, Epouse priante devant son Seigneur.
Comme Congrégation, nous éprouvons la joie d’être en communion avec l’Eglise universelle, et nous renouvelons, à l’occasion de la canonisation de notre frère, notre engagement à travailler pour l’unité et la fraternité, comme souhaité par le Christ en priant son Père.
2. Honorer Damien.
Par la canonisation, l’Eglise honore Damien, autrement dit, reconnaît publiquement et officiellement la valeur exceptionnelle de son existence et de son œuvre.
Durant sa vie et même après sa mort, Damien fut louangé et injurié, admiré et condamné. Dans ses lettres, il nous laisse le témoignage de sa souffrance morale, endurée à cause de la solitude et de l’incompréhension, jusqu’à se sentir indigne du ciel. La canonisation vient, pourrait-on dire, dissiper ces doutes et proclamer la vérité profonde de son existence : cet homme est de Dieu, ses choix et ses actions plaisent à Dieu et le manifestent clairement.
"Notre agir n’est pas indifférent devant Dieu et il n’est pas non plus indifférent pour le déroulement de l’histoire. Nous pouvons nous ouvrir nous-mêmes, ainsi que le monde, à l’entrée de Dieu : à la vérité, à l’amour et au bien. C’est ce qu’ont fait les saints, qui, comme ‘collaborateurs de Dieu’, ont contribué au salut du monde ». (Benoît XVI, Spe Salvi n° 35)
Damien est l’un de ces « collaborateurs de Dieu » qui contribuent au salut du monde. Lorsque nous honorons Damien, nous reconnaissons en lui un modèle à imiter et, de cette manière, nous émettons un jugement sur ce qui est bon et sur ce qui ne l’est pas. Dans notre façon d’agir dans la vie tout n’est pas équivalent. Ce n’est pas équivalent d’abandonner des personnes à leur misère ou de servir des exclus. Ce n’est pas la même chose de rechercher son propre bien-être que de se sacrifier pour le bonheur des autres. Ce n’est pas la même chose d’ignorer les pauvres et bien vivre que d’aimer ceux qui souffrent et lier son propre sort au leur. Ce n’est pas la même chose de s’éloigner des malheureux par peur de se contaminer que de toucher et embrasser le lépreux. Ce n’est pas la même chose de se désintéresser de Dieu que de Le chercher avec humilité et persévérance. Ce n’est pas la même chose de garder sa propre vie que de la livrer par amour.
Honorer Damien, c’est affirmer clairement et fermement que son chemin est le bon, que ce qu’il a fait est bien, que sa compassion efficace et obstinée est surement ce que Dieu veut. C’est pour tout cela que Damien est grand, et que de l’honorer, cela fait du bien à l’Eglise et à l’humanité.
Cette façon d’honorer Damien sera toujours une source d’inspiration pour la Congrégation. A la lumière de la vie de Damien, essayons de donner un contenu concret aux ‘belles paroles’ sur notre vie et notre mission : l’annonce de l’amour de Dieu, la réparation, l’adoration eucharistique, la consécration aux Sacrés Cœurs, le service des pauvres…Tout cela n’a pas été simple discours pour Damien, ni petites activités pompeusement étiquetées pour se faire une belle image de lui-même. Le charisme de la Congrégation a configuré sa vie entière parce qu’il a su le concrétiser dans le service sans réserve à ses chers lépreux de Molokaï.
A la fin de sa vie, Damien s’est senti ‘honoré’ par deux sortes de croix : la croix de la décoration qu’il reçut de la reine Lilioukalani en reconnaissance pour son engagement et son travail, et la croix de la lèpre, qui l’a uni tout spécialement à la Croix de son Seigneur. A partir de cette rencontre rituelle avec la mort, lors de sa profession religieuse (la prostration sous le drap mortuaire), Damien a toujours été disposé à donner sa vie jusqu’au bout. Lorsque la lèpre l’a fait s’approcher inéluctablement de la mort, il se disait ‘le missionnaire le plus heureux du monde’. Le véritable bonheur ne viendrait-il que de Dieu ?
« Sa mort fut réellement digne d’un enfant des Sacrés-Cœurs; c’était la mort d’un saint. » (Marcellin Bousquet sscc, Supérieur Général, 3 juin 1889).
3. Invoquer Damien.
Depuis sa mort jusqu’aujourd’hui, beaucoup de personnes ont confié à Damien leurs prières et leurs intentions et se sont senti soutenues par lui. Avec la canonisation, c’est toute l’Eglise qui invoque Damien comme intercesseur. Dans notre foi au Christ ressuscité, vainqueur de la mort, nous avons confiance que ceux qui ont souffert et sont morts dans le Seigneur, règneront et vivront avec Lui. Evidemment, nous aussi, les frères et sœurs de la Congrégation, nous pouvons invoquer Damien et nous adresser à lui comme à notre grand frère. Dans notre cas, cette invocation prend la forme d’un dialogue fraternel, comme entre membres d’une même famille religieuse.
Damien fait partie de ce groupe de valeureux missionnaires qui sont partis vers les îles lointaines annoncer l’évangile en faisant le don total de leur vie. Ces missionnaires vivaient frugalement, partageaient souvent les pauvres conditions de vie de leurs fidèles, affrontaient toutes sortes de dangers, et ils étaient prêts à mourir pour leur mission. Rappelons-nous, par exemple, les trois autres qui se présentèrent avec Damien pour aller à Molokaï, et tant d’autres comme eux. Ainsi en est-il dans la Congrégation : la plupart ne sera pas célèbre comme Damien, mais il faut l’engagement de tous et le travail humble et caché du plus grand nombre pour que nous soyons toujours ce terrain bien travaillé où le Seigneur fera grandir les fruits qu’Il désire.
Dans la Congrégation, il y a eu et il y aura toujours des frères et des sœurs qui ne sont pas comme Damien ; sans aller plus loin, pensons à Pamphile, le frère de Damien (frère de sang et en religion), qui a consacré toute sa vie à l’étude et aux pratiques régulières dans un couvent, incapable de vivre une vie apostolique aussi dure et exposée que celle de son frère. Avec un mélange d’humour et de reproche, Damien lui fera sentir de temps à autre ce contraste dramatique existant entre les deux : “A quoi bon envier le bonnet de docteur aux dépens du salut des pauvres âmes canaques?”… “Vous m’excuserez que mes mains ne soient pas si blanches que les vôtres, qui ne faites, je suppose, que feuilleter les livres”.
La majorité d’entre nous ressemble davantage à Pamphile qu’à Damien. Il est vrai que chacun de nous, avec sa façon d’être religieux, peut trouver sa place dans la Congrégation. On n’a pas à être tous pareils ; la diversité est nécessaire et salutaire. De toutes les façons, en invoquant Damien, entrons en dialogue avec lui, laissons-le nous interpeller comme si nous étions d’autres Pamphile, qui recevons les commentaires ironiques et exigeants du missionnaire parlant avec la liberté de celui qui ne veut rien pour lui-même.
Que nous dit Damien aujourd’hui ? Quelle interpellation nous adresse-t-il à nous, ses frères et sœurs de la Congrégation ? Que dirait-il de la consistance de notre foi, de la générosité de notre action, de notre amour des pauvres, de la solidité de notre engagement ? Comme disait le Révérend Hugh B. Chapman, pasteur anglican, qui l’aida beaucoup : une vie comme celle de Damien ‘nous accuse silencieusement d’être trop bien installés et égoïstes’.
Sans doute Damien est-il une grande fierté pour la Congrégation, mais il doit être beaucoup plus, comme une sorte de révulsif qui réveillerait nos tiédeurs et nous donnerait un élan renouvelé pour la vocation à laquelle nous sommes appelés, une vocation qui plonge ses racines à la même source où Damien s’est alimenté. Il faudrait que Damien nous aide à être meilleurs !
La famille SS.CC. en fête
Une des dernières lettres que Damien a reçue, moins d’un mois avant sa mort, arriva de Honolulu, pour lui souhaiter sa fête (St Joseph) et pour le 25ème anniversaire de son arrivée à Hawaï (le 19 mars 1864). C’était une lettre de la sœur Judith sscc, qui avait fait le voyage depuis l’Europe quelques années avant lui dans le premier groupe des sœurs arrivant aux îles Hawaï (il y a justement 150 ans). Elle lui remettait le bonjour de la Sr Marie Laurence et des autres compagnes de traversée qui étaient venues avec lui en 1864. Bien que Damien, selon le style de l’époque, n’ait pas gardé beaucoup de contacts avec les sœurs sscc (qui l’aidèrent pourtant à plusieurs reprises par divers approvisionnements pour ses tâches missionnaires), cette dernière parole amicale de la part d’une sœur nous rappelle de façon saisissante les liens d’affection qui doivent toujours exister entre les deux branches de la Congrégation.
Bien Chers Frères et Sœurs, réjouissons-nous donc de la prochaine canonisation de Damien. Notre invitation s’étend spécialement aux membres de la Branche Séculière et à toutes les personnes vivant leur foi inspirées par le charisme des sscc, source et aliment de l’engagement de Damien. Rendons grâce à Dieu et partageons notre joie avec les personnes autour de nous. C’est la joie de l’Eglise entière ; la joie d’une humanité assoiffée de bonté, de compassion et de justice. Damien, comme Jésus, a passé sa vie à faire le bien. Demandons-lui que cela soit aussi notre chemin de sainteté.
Aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie Honneur et Gloire !
Rosa Mª Ferreiro sscc
Supérieure Générale
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Javier Álvarez-Ossorio sscc
Supérieur Général
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